L’internement en France 1940-1942

L’internement des Juifs en France

À partir de l’automne 1940, des dizaines de milliers de Juifs sont internés à travers toute la France. Cette manœuvre politique constitue l’un des principaux axes de la politique, antisémite mise en place par Vichy, qui veut écarter en masse la population juive de la société en la concentrant dans des camps d’internement. Les victimes sont détenues dans des conditions sommaires, et parfois meurtrières, isolées, reléguées loin des centres urbains. Dans ces circonstances, le courrier devient leur principal lien avec le monde extérieur. Ce fil ténu constitue pour les internés une véritable ligne de vie.

 

Photo : Le camp d’internement de Gurs (Basses-Pyrénées) est l’un des principaux camps utilisés par l’État français afin d’interner les Juifs étrangers. Fin octobre 1940, ce sont notamment quelque 6 500 Juifs expulsés d’Allemagne vers la zone libre qui y sont internés par Vichy. © Mémorial de la Shoah/Coll. Joseph Ben Brith

Les camps d’internement de Vichy

Dans la zone libre, l’État français met en place, avec la loi du 4 octobre 1940, une vaste politique de concentration des populations juives étrangères. En quelques mois, plus de 30 000 Juifs, soit un Juif sur quatre vivant dans la zone libre, se trouvent internés dans un ensemble de grands camps tels que Gurs, Rivesaltes ou encore Les Milles. Il s’agit aussi bien d’hommes que de femmes et d’enfants, détenus dans des conditions très dures. Ainsi à Gurs, près d’un millier d’internés décèdent en quelques mois.

 

Photo : Parmi les premières lois antisémites promulguées par Vichy en octobre 1940, celle du 4 octobre permet l’internement de tout Juif étranger par les préfets. Elle est adoptée en Conseil des ministres le 1er octobre 1940, en même temps que le premier statut des Juifs. © Mémorial de la Shoah

La politique allemande en France

En zone occupée, l’internement des Juifs intervient en 1941, à la suite des grandes vagues d’arrestations ordonnées par les Allemands. Avec la rafle du billet vert en mai 1941, 3 700 hommes sont internés dans les camps du Loiret – Pithiviers et Beaune-la-Rolande – puis, avec la rafle du XIe arrondissement en août, ce sont plus de 4 000 hommes qui sont envoyés à Drancy, et 700 à Compiègne après la rafle des notables, en décembre 1941. Désormais, l’internement prévaut tant en zone libre qu’en zone occupée, et ceux qui en sont victimes sont détenus pendant des mois, voire des années. 

Rôle de la correspondance

Écrire en détention

La correspondance occupe une place essentielle dans le quotidien des dizaines de milliers d’internés. Elle leur permet en premier lieu de maintenir un lien avec leurs proches, de donner des nouvelles, de demander l’envoi de colis de nourriture et d’habits. Mais de nombreuses contraintes pèsent sur les courriers, qui passent par les mains des services de censure. Afin de s’y soustraire, les internés tentent de recourir à divers subterfuges avec l’aide, désintéressée ou pas, de personnes tierces qui leur permettent de transmettre des courriers clandestins.

 

Photo : Zalma Wojakowski, Beaune-la-Rolande (Loiret). Déporté par le convoi 6, assassiné à Auschwitz le 12 octobre 1942. © Mémorial de la Shoah/Coll. Régine Betts.

Plume sous la contrainte

Les internés sont soumis à des règles extrêmement variables selon les camps et les périodes  concernant la correspondance. Ainsi les victimes de la  rafle des notables sont détenues pendant de nombreuses semaines à Compiègne sans avoir le droit d’écrire à leurs proches, qui ignorent leur sort et attendent vainement des nouvelles. La suspension du droit à la correspondance, individuelle ou collective, constitue un des principaux moyens punitifs utilisés contre les internés par l’administration des camps.

 

Photo : Marques de la censure sur un courrier adressé par un interné du camp de Rivesaltes, 14 septembre 1942.

À la recherche d'aides

Outre le lien avec les proches, le courrier permet aux internés d’entreprendre des démarches pour obtenir leur libération. Suppliques adressées aux autorités, demandes auprès des organisations d’entraide qui agissent en leur faveur, mais aussi requêtes diverses pour tenter d’obtenir un visa pour une hypothétique émigration leur permettant de quitter l’Europe dominée par les nazis et leurs alliés.

 

Photo : Des internés du camp des Milles attendent l’arrivée du courrier. Les Milles occupent une place particulière dans le système des camps et la politique d’internement de Vichy : il s’agit d’une sorte de camp de transit pour des internés en attente de pouvoir immigrer vers un pays d’accueil qui leur délivrerait un visa. © Mémorial de la Shoah /Coll. Peter Katel

1942. Le tournant de la « Solution finale »

L’année 1942 est marquée par le début des déportations et le déclenchement de la « Solution finale ». En France, les camps d’internement n’ont plus vocation à détenir dans la durée, mais deviennent des centres de transit pour les victimes qui n’y séjournent plus que quelques semaines, voire quelques jours. Dès lors, la correspondance occupe un autre rôle, informer de l’arrestation et des transferts successifs, et prend une autre tonalité, celle de l’urgence.

Les déportations

À l’été 1942, Drancy devient le principal camp par lequel transitent des dizaines de milliers de personnes qui sont acheminées là après avoir été arrêtées aux quatre coins du territoire. Victimes de la rafle du Vel d’Hiv (16-17 juillet 1942), victimes de la rafle du 26 août 1942 en zone libre, victimes des multiples autres rafles qui, semaines après semaines, visent les Juifs de France, se succèdent à Drancy, avant d’être rapidement déportées « vers l’Est ».

 

Photo : Lettre de Clara Garnek écrite du Vel d’Hiv où elle est enfermée avec ses parents et ses deux frères. Après avoir été transférés au camp de Pithiviers, ils seront tous déportés successivement, sans retour. Clara et sa mère ont été déportées par le convoi 16 du 7 août 1942. © Mémorial de la Shoah /Coll. Germaine Garnek

Portrait

Alexis Masor, deux ans de détention

Alexis Masor, né à Kiev en 1894, s’installe en France peu après la Première Guerre mondiale et épouse Renée Rhe. Arrêté comme des centaines d’autres hommes en tant que ressortissant russe le 22 juin 1941, à la suite du déclenchement de l’opération Barbarossa, il est interné au camp de Mérignac (Gironde) puis à Compiègne, avant de finalement être transféré à Drancy, en tant que Juif. Il est déporté à Auschwitz le 18 juillet 1943 par le convoi 57. Durant ses deux années de détention, il tient une correspondance régulière avec son épouse : plus de 160 courriers, aujourd’hui conservés au Mémorial de la Shoah.

 

Photo : Lettre d’Alexis Masor dans laquelle il annonce son départ du camp de Mérignac. © Mémorial de la Shoah/coll. Masor

« C’est demain que nous partons. »

Face à la déportation, l’écriture prend une autre dimension. Si l’on ignore ce qui se trouve précisément derrière la « destination inconnue », unique information communiquée à ceux désignés pour la déportation, les craintes sont multiples sur le sort véritable qui les attend. Désormais les lettres deviennent des lettres d’adieu, même si certains tentent, malgré tout, de protéger leurs proches et de les rassurer. 

 

Photo : Compte-rendu du SS-Hauptsturmführer Dannecker, daté du 8 juillet 1942 d’une réunion des membres d’un comité d’action, chargés de l’organisation des déportations, à laquelle ont participé le SS-Unterscharführer Heinrichsohn, Louis Darquier de Pellepoix, Jean Leguay et d’autres représentants de la police et de l’administration françaises. L’objet de cette réunion visait à établir toutes les mesures à prendre pour organiser la déportation de 22 000 Juifs de Paris : la sélection, l’internement et le transport.
© Mémorial de la Shoah

Vichy annonce officiellement que ceux qui sont déportés sont envoyés « travailler à l’Est ». À la veille de chaque départ de convoi, les partants sont autorisés à écrire un ultime courrier, constitué d’éléments de langage dictés par les autorités. Mais de nombreux déportés réussissent à écrire des mots clandestins qui présentent une toute autre tonalité. Jetés des wagons le long des voies ferrées, ils sont généralement transmis aux destinataires par des cheminots ou d’autres personnes qui les trouvent.

 

Photo : Lettre jetée du train par Adrien Cerf. Né le 16 juin 1879 à Paris, arrêté le 12 décembre 1941 lors de la rafle dite des notables et interné à Compiègne. Transféré à Drancy, à Pithiviers le 4 septembre 1942, à Beaune-la-Rolande le 20 septembre 1942, puis à Drancy le 21 septembre 1942. Il est assassiné à Auschwitz.  
© Mémorial de la Shoah/ Coll. Douaron v

 À la recherche des « disparus »

L’annonce du départ « en déportation », voire la « disparition » pure et simple d’une personne qui cesse de répondre aux courriers qui lui sont adressés, constitue pour les proches une source d’inquiétude. Face à ce qui devient dès lors un silence baigné d’incertitudes, ceux qui le peuvent, quand ils ne se sont pas eux-mêmes fondus dans la clandestinité, multiplient les démarches auprès des autorités, tentant vainement d’obtenir informations ou nouvelles. Ce n’est qu’en 1945, avec la défaite du Reich, que la réalité du sort attendant les Juifs au bout de la déportation deviendra concrète, mettant fin à tout espoir. 

 

Photo : Les listes des déportés rescapés des camps de concentration sont affichées à l’Hôtel Lutetia.
© Mémorial de la Shoah